Il pourra sembler étrange pour un observateur non averti de voir un auteur de jeux présenter un jeu de tarots divinatoires ! Car le Tarot de la Marelle est bien destiné à se tirer les cartes dans le but de prédire l'avenir.

Outre un goût avoué pour l'occulte, le secret et le mystère sous toutes ses formes, c'est par le biais du jeu de simulation que j'ai été amené à me pencher sur la galaxie des méthodes divinatoires.

Quoi de plus éloigné pourtant du jeu de stratégie que ces systèmes curieux qui depuis l'aube des temps rassurent l'homme en lui donnant l'impression qu'il peut soulever un coin du voile de son avenir ?

Un amateur de jeux de simulation est souvent crédité d'un matérialisme profond qui le pousse à pinailler longuement à propos du poids réel d'une armure de plaques ou du nombre précis des rangs d'infanterie dans une phalange macédonienne. Le même pourtant n'hésitera pas à confier au hasard d'un coup de dés, dûment pondéré par l'usage de tables de modifications, le sort d'un personnage aimé ou d'un corps d'élite.

Le hasard apparaît donc nécessaire comme ultime étape dans la recherche du réalisme, une fois bien définis tous les paramètres de simulation humainement (ou informatiquement) gérables. En effet, l'absence de hasard à ce stade impliquerait une prédestination mécanique des événements. C'est d'ailleurs ce qu'on reproche à la divination au nom du libre arbitre.

L'amateur de wargames ou de jeux de rôles sera sans doute intéressé d'apprendre que l'invention des jeux et des dés est traditionnellement attribuée au dieu égyptien Thot. Ainsi d'ailleurs que celle des nombres et du calcul, de la géométrie et de l'astronomie, de l'alphabet enfin (Phèdre, Platon).

A ce dieu est également attribué l'invention de nombreux systèmes divinatoires. Le philosophe Court de Gébelin appelait d'ailleurs le Tarot, le Livre de Thot. Et c'est sous la divine protection de son homologue grec, Hermès, que se placaient toutes les pythies, les augures et autres devins de la Grèce antique (ce qui a donné le mot "hermétique", qui avant de désigner un objet parfaitement clos, qualifiait les pratiques et théories occultes).

Il y a donc une analogie reconnue depuis l'Antiquité entre jeu et divination, entre hasard et calcul.

Car un système divinatoire fonctionne exactement comme un jeu de simulation. Il comporte un corpus de règles précises et contraignantes, il utilise des figures représentant une image symbolique de la réalité du monde, il introduit des rapports de force et des confrontations entre ces figures.

Un système comme l'astrologie est aussi bien une grille de décryptage de la psychologie humaine. Un concepteur qui voudrait retranscrire en jeu les données du caractère humain n'aurait qu'à s'inspirer des archétypes décrits dans le système des influences planétaires. On pourrait difficilement trouver description plus complète et formellement plus rigoureuse de la vie humaine que le système des maisons astrologiques (voir plus bas).

Un système divinatoire doit à la fois couvrir la champ le plus vaste possible de la Vie (thème du "jeu") et obéir à des critères mathématiques rigoureux (structure du "jeu"). Comme un jeu de simulation, il doit être suffisament simple pour être utilisable malgré la complexité des facteurs retenus.

Une fois les règles codifiées, comme dans un jeu de stratégie, pour simuler le caractère aléatoire des éléments de la vie, on fait intervenir le hasard: heure de naissance, tirage de cartes, lancer de dés ou de pièces de monnaie...

Il est de fait qu'aux temps anciens les osselets étaient utilisés comme des dés à quatre faces (ou D4) dans le but de prédire l'avenir. Certaines combinaisons obtenues en jetant quatre osselets étaient néfastes telles le coup du chien, ou les 4 as. D'autres étaient considérées commes propices comme le coup de Vénus.

C'est d'ailleurs le cas de la plupart des jeux: l'usage divinatoire a précédé l'usage ludique. On peut le constater dans le jeu d'échecs, dont le plateau représente un mandala, c'est-à-dire une figure géométrique utilisée par les mystiques pour la méditation et l'autohypnose. Les baguettes d'achillée du Yi King chinois ont sans doute engendré le jeu de Mikado, comme les hiéroglyphes sacrés d'Egypte les rébus. Le Sphinx posait des devinettes à Œdipe et les épreuves des Jeux Olympiques étaient reliées symboliquement à des événements cosmiques. Quant au Tarot tout le monde connaît sa double nature de jeu de cartes et d'instrument divinatoire.

Le Tarot de la Marelle est aussi la réalisation d'un vieux rêve. Celui qu'a eu tout lecteur du cycle d'Ambre de tenir entre ses mains ne serait-ce qu'une seule des cartes magiques qui servent aux princes d'Ambre pour communiquer et voyager à travers les ombres.

Roger Zelazny, souvent avare de description précise, nous dépeint avec minutie dès le premier volume de la série les 13 cartes représentant les neuf princes d'Ambre et leurs quatre soeurs. C'est d'ailleurs la seule occasion qu'il donnera au lecteur de se faire une image des protagonistes principaux de son histoire.

Manipulées par un prince d'Ambre, ces "atouts" ont la faculté d'établir un contact mental à travers les Ombres entre celui qui tient la carte et celui qui y est représenté. La carte se glace, une communication télépathique s'instaure, puis le personnage appelé se matérialise ainsi que le décor où il se tient. Les deux interlocuteurs peuvent alors en se donnant la main passer du monde de l'un dans celui de l'autre.

Ces cartes sont "faites sur le modèle des tarots, avec les bâtons, les deniers, les coupes et les épées, mais les figures[sont] différentes..." suit une description des personnages qui a été scrupuleusement respectée dans le dessin des cartes du tarot de la Marelle.

Les figures (Rois, Dames, Cavaliers, Valets) sont les neuf princes d'Ambre et leurs soeurs, auquels s'ajoutent Oberon, le Roi d'Ambre, ainsi que le Roi du Chaos, Swayvill, et le génial créateur des cartes et de la Marelle, Dworkin.

La répartition entre les couleurs suit scrupuleusement la généalogie de la famille royale telle qu'elle est décrite dans le troisième volume de la série, le Signe de la Licorne.

Dworkin, en créant la Marelle avec le Joyau du Jugement, est le père fondateur du royaume d'Ambre. Mais son aspect de gnome et sa discrétion extrème ne pouvaient en faire qu'un Valet. Il est représenté en train de graver les cartes du Tarot.

Oberon est le Roi d'Epées suivi de son fils aîné, le stratège Benedict en Cavalier d'Epées. La Dame d'Epées est sa première fille, Llewella.

Puis viennent les Bâtons et les enfants de la deuxième femme d'Oberon, Faiella. Corwin est le premier à avoir porté la couronne après Oberon. Même si ce fut par surprise et seulement le temps de contrarier le couronnement de son frère Eric alors qu'il était son prisonnier. Comme il est le héros de la première partie du Cycle et le fondateur d'une seconde marelle, c'est Corwin qui est le Roi de Bâtons. Eric est le Cavalier et Caine, le dernier fils de Faiella est le Valet. Deidre, leur soeur est la Dame de bâtons.

Puis c'est le tour de la "race des rouquins", les enfants de Clarissa, troisième femme d'Oberon: Bleys, le Cavalier de Deniers, Brand, le Valet et Fiona la Dame. Comme Roi de Deniers, j'ai choisi Swayvill, le Roi du Chaos.

Enfin les derniers nés d'Oberon, Random, Julian, Gérard et Flora sont respectivement Roi, Cavalier, Valet et Dame de Coupes.

Il manque hélas bien des protagonistes du Cycle, notamment ceux de la seconde série, à commencer par Merlin, fils de Corwin. Ils ne pourraient s'intégrer qu'à une version ultérieure du Tarot dont toutes les cartes chiffrées seraient porteuses de figures. Les heureux collectionneurs qui possèdent les cartes devenues rarissimes du "Livre de la Licorne" peuvent se réjouir de tenir quelques éléments de ce Grand Tarot hypothétique. Les autres devront se contenter de rêver sur les couvertures du Cycle d'Ambre (Denoël).

L'histoire du jeu de Tarot est longuement évoquée dans le livret qui accompagnait l'édition du tarot d'Ambre (Jeux Descartes 1994). Mais du point de vue du concepteur de jeu, c'est-à-dire sur le plan structurel, le Tarot posait problème...

Il est par exemple facile de comprendre la structure mathématique de l'astrologie: combinatoire de 10 planètes sur deux cercles concentriques divisés en 12 (signes du Zodiaque et maisons) + observation des angles que tous ces éléments forment entre eux( (0°,60°,90°,120°,180°). La signification accordée à tous ces éléments est également très structurée: alternance des signes positifs et négatifs, regroupements des signes par groupes de 4 (les 4 éléments: Feu, Terre, Eau, Air) et de 3 (3 stades: cardinal, fixe et mutable). C'est un jeu bien équilibré et qui fonctionne...

Le Yi-King chinois, la Géomancie arabe, la Numérologie offrent également des structures ludiques rigoureuses facilement perceptibles.

Les choses se gâtent pour le Tarot: dans les arcanes mineurs, il y a bien 4 couleurs (liées aux 4 éléments) comprenant 14 cartes chacune. Une hiérarchie traditionnelle allant de l'As jusqu'au Roi... Mais les arcanes majeurs semblent défier l'analyse structurelle: 22 cartes disparates dont certaines vont par couple d'opposés (Empereur/Impératrice...), d'autres par 3 (Soleil/Lune/Etoiles...), d'autres encore qui semblent redondantes (Etoiles/Tempérance), la plupart enfin isolées et apparemment "hors système".

La divination par le Tarot demande donc de grandes qualités de mémoire (apprendre par coeur la signification de chaque carte) et une longue pratique fondée sur l'observation intuitive (découvrir le détail caché dans les plis de la robe du Pape). Voilà sans doute un excellent support pour les talents médiumniques comme la boule de cristal ou le marc de café, mais l'amateur de jeu n'y trouve pas son compte !

Pourtant il existe bien une structure formelle rigoureuse des arcanes majeurs du Tarot ! La clé m'en a été donnée par un petit livre qui fera la joie de tous les amateurs de structures ludiques: les Mathématiques divinatoires de Jacques Halbronn (Trédaniel).

En groupant les cartes 2 par 2 pour obtenir une somme de 22 en additionnant les numéros des cartes (1.Bateleur et 21.Monde, 2.Papesse et 20.Jugement, etc.), on obtient 11 couples d'opposés / complémentaires. Le Mat qui n'a pas de numéro devient ainsi un 11 bis.

Tous les détails sont donnés dans le livret du Tarot d'Ambre et le résultat est stupéfiant pour quiconque connaît un peu les Tarots.

Avec cette base de travail, je passai beaucoup de temps à trouver une disposition des 22 cartes qui mettrait en valeur à la fois leur ordre de succession numérique et leur opposition symétrique. Je testai des dispositions en forme de croix, en forme de huit... jusqu'à trouver la bonne et, à mon avis, l'unique disposition répondant à mes critères.

J'eus alors la surprise de constater que cette forme rappelait celle d'une marelle enfantine. C'était donc un lien entre les Tarots et la fameuse Marelle d'Ambre. De plus en suivant le trajet indiqué par la succession numérique des cartes, on obtenait une forme qui ressemblait étrangement à la forme de la Marelle décrite par Roger Zelazny.

Mais la surprise finale me fut donnée par Florence Magnin. Pendant les crayonnés préparatoires du jeu de la Marelle, elle se rendit compte que les 6 cartes qui composaient la rangée centrale de la Marelle possédaient toutes (et elles seules...) un point commun qui avait jusqu'ici à ma connaissance échappé à tous les experts du Tarot:

Le Bateleur nous montre un prestidigitateur, la Roue de fortune une loterie des monstres, la Force une dompteuse, Le Mat un clown, le Pendu un acrobate et le Monde une danseuse équilibriste. Ce sont tous des personnages de cirque ! Seule l'installation des cartes selon la forme trouvée (retrouvée...) de la Marelle permettait cette analogie qui saute alors aux yeux et qui doit être prise en compte dans leur interprétation.

De là à penser que nous avions accidentellement (?!?) mis le doigt sur un secret caché du Tarot, il n'y avait qu'un pas... que je sautai allégrement (à cloche-pied bien sûr) ! Et vous apprendrez dans le livret du Tarot de la Marelle ce qui arrive aux petits curieux qui révélent des secrets cabalistiques.

Je dois avouer que je me suis bien amusé en concevant ce jeu, mais le résultat dépasse mes espérances et me fait un peu froid dans le dos. Les amateurs de divination par le Tarot trouveront-là une structure qui bouleverse leurs habitudes et ouvre des perspectives assez vertigineuses... Les personnes qui n'ont jamais su se tirer les cartes pourront apprendre à le faire beaucoup plus facilement qu'avec n'mporte quelle autre méthode. Ce qui ne les dispense pas de se procurer d'autres ouvrages sur le Tarot s'ils ont l'intention d'approfondir leur technique. Je me suis en effet contenté de compiler les significations traditionnelles des cartes. Elles n'entrent d'ailleurs curieusement pas en contradiction avec les nouvelles perspectives offertes par la structure dégagée.

J'invite même les sceptiques à tenter l'expérience. C'est très amusant et par les temps qui courent, il est bon de connaître ce que l'avenir nous réserve, ou à tout le moins de rêver un peu.

Maison I

Le Moi

Corps, âme, esprit

Maison II

L'Avoir

Argent, fortune personnelle

Maison III

Le Proche

Frères, voisins, communication, études.

Maison IV

La Famille

Parents, maison

Maison V

La Création

Fêtes, amours, jeux, enfants, oeuvres

Maison VI

Le Quotidien

Santé, corvées, subalternes, animaux

Maison VII

L'Autre

Partenaire, mariage, associations, conflits

Maison VIII

Les Crises

Mort, destruction, sexualité, héritage

Maison IX

Le Lointain

Voyages, étranger, philosophie, religion

Maison X

La Société

Profession,carrière, honneurs

Maison XI

Les Affinités

Amitiés, protections, aides

Maison XII

L'Exceptionnel

Epreuves, maladies, exil, échecs

 

Florence Magnin

Florence Magnin possède une vision bien à elle à mi-chemin du fantastique médiéval et de la poésie onirique. Elle a réalisé de nombreuses couvertures et illustrations pour Casus Belli, pour la collection Anticipation au Fleuve Noir et pour le jeu "Rêve de Dragon".

C'est elle qui a créé toutes les couvertures du Cycle d'Ambre (Collection Présence du Futur aux éditions Denoël). Elle a fait sien cet univers d'Ambre au point qu'il est difficile maintenant de l'imaginer sous d'autres couleurs. Elle avait déjà réalisé pour France-Cartes, un Tarot des Régions de France.

Florence Magnin est aussi l'auteur, sur des scénarios de Rodolphe, de bandes dessinées, comme "L'Autre Monde" (Dargaud).